Demi Vie

Demi Vie

Au Lieu unique, à compter du 3 juin 2021 et jusqu’au 28 août, Stéfane Perraud et Aram Kebabdjian signent une exposition en forme de voyage dans le temps, sur les traces nucléaires dans le paysage. Nous les avons rencontrés la veille du vernissage.

Le premier est plasticien, le second est écrivain. Ensemble, Stéfane Perraud et Aram Kebabdjian collaborent depuis plusieurs années à la construction de machines narratives qui jouent sur tous les seuils de l’existence potentielle de leurs œuvres. L’exposition “Demi-vie” présente quelques-unes de leurs recherches communes sur le nucléaire et les paysages irradiés. Les installations sont traversées par des récits, les machines augmentées par des fictions littéraires. Un travail où les textes et les images dialoguent sans s’illustrer.

“Ce que l’humanité a produit de plus durable”

Stéfane Perraud est accoudé au comptoir du “Lieu Unique”, Aram Kebabdjian vient de fumer une cigarette. Cela fait plus de cinq ans qu’ils abordent ensemble l’insaisissable matière nucléaire, à travers les moyens qui sont les leurs : les formes plastiques et les textes vivants. Demi-vie, mis en place grâce à la confiance de Patrick Gyger, regroupe un ensemble de trois pièces : Archives γ, 160 MA et Zone bleue. Nous y croisons un collège scientifique, une descenderie géante, une forêt transgénique et un colis nucléaire. “Chacun de ces motifs, à sa façon, interroge la place et l’avenir de cette réalité nucléaire, sur Terre et dans nos esprits” commente Aram Kebabdjian. Trois installations qui, sans catastrophisme, et parfois par l’absurde, croisent les temporalités, les approches documentaires et fictives, les méthodes scientifiques et artistiques, pour appréhender les horizons chronologiques qu’ouvre la matière nucléaire.

Lorsqu’on interroge Stéfane Perraud à propos du titre, la réponse est immédiate : “ En physique nucléaire, la notion de demi-vie sert à appréhender la décroissance radionucléides dans le temps. Le plutonium 239, synthétisé notamment pour les bombes, a une demi-vie de 23 000 ans. L’uranium généré dans nos centrales, de 700 000 ans. Et il reste nocif pendant cinq ou six demi-vies. A ce jour, c’est ce que l’humanité a produit de plus durable. Il n’y a pas de raison que les artistes s’interdisent de s’en saisir.”

De fait, nombreuses ont été les expositions d’art à aborder le fait nucléaire. Expositions thématiques ‒ expositions catastrophistes suscitant la peur et l’effroi ‒ expositions militantes, contre la bombe, les centrales et la colonisation des espaces ‒ expositions in situ, à l’intérieur des zones d’exclusions, des centrales ou des tunnels. “Notre approche de la question nucléaire est avant tout fondée sur la singularité de notre rencontre, précise Kebabdjian. Il y a cinq ans, nous avons collaboré pour la première fois. Nous avons inventé “Isotopia” à partir de la table des radioéléments, une île boréale entièrement constituée de matériaux radioactifs. Nous y avons installé un atelier pour Stéfane, nous en avons dessiné l’histoire et composé un guide pour les visiteurs. Faire œuvre du nucléaire exige une forme suprême de vitalité. Sans doute aussi un peu de fantaisie. La réalité que recouvre le nucléaire est certes inquiétante, elle n’en reste pas moins humaine. “Demi-vie” explore ce que c’est que de vivre dans des horizons générés par le nucléaire ‒ où temps et espace ne semblent plus tout à fait les mêmes. Loin de nous laisser pétrifier par la peur ou de céder à l’angélisme, il s’agit de raconter des histoires, de traverser des paysages…”

Photos – David Gallard